Leur mise en œuvre est pourtant, elle, très contemporaine ; « post-moderne » même, en un sens. C’est ce qui lui permet ce mélange de fascination immédiate et de distance critique, cette incarnation souple du paradoxe temporel au sein d’images en apparence très simples, raffinées mais élémentaires, inépuisables mais évidentes. Cet aller-retour, cette lucidité extrême, permettent à Arnaud De Wolf d’envisager l’image à contre-courant de la tendance dominante à l’hyperlisibilité : comme une question, et non comme une réponse. Comme une énigme, et même une énigme à peu d’inconnues : un petit nombre d’images (le plus souvent entre une et trois, dans ses séries ; rarement plus, et moins de quinze dans le cas de Heim) suffisent à nourrir un inlassable questionnement, une mise en doute des repères.
Chez lui, une forme en appelle ou en évoque toujours une autre. Un constat ne vaut jamais pour lui-même, mais doit être pris à la manière d’une métaphore. Car tout — et singulièrement les éléments : pierre, glace, neige, poussière — nous renvoie à la spirale du temps, à cette fixité obsédante de la mouche prise dans l’ambre, chez les Egyptiens, ce « complexe de la momie » dont André Bazin, parmi les premiers, a fait le principe fondateur de la photographie. Quel élément, d’ailleurs, préserve mieux des ravages du temps que la glace — soulignant aussi l’éphémère dérisoire des ambitions humaines et de leurs constructions, de leurs élaborations.
Nous vivons dans un drôle de monde, et rares sont les photographes qui, comme nous le disions, savent s’abstenir d’en simplifier les formes complexes, mais qui au contraire nous invitent à la complexité des formes simples. En ce sens, Heim porte bien ses racines, historiques, germaniques, et nous parle bel et bien, avec une évidence d’un blanc trop éclatant pour qu’elle soit perçue tout de suite, d’une quête, d’un secret, d’un mystère, mêlant la question des fins et celle des origines. Et nous renvoie à l’hypothèse que notre seul foyer, c’est peut-être le cosmos : car derrière l’idée de vacance se niche toujours, dans toutes les langues, au fond de nous ou quelque part dans l’image, la peur du vide.